Note d’intention de Patricia Bonal
Les monotypes de Territoires insoumis sont le fruit d’un lent processus créateur qu’il est nécessaire d’évoquer pour bien les comprendre.
J’ai longtemps dessiné et peint le corps humain, et particulièrement ses modifications, les accidents de la vie, les visages décharnés, la vieillesse. Cette profonde transformation du physique à l’approche de la fin, l’émergence progressive et fascinante de ce qui pourrait être défini comme le corps ultime.
Puis s’est produit un glissement de cette recherche et je me suis intéressée au vieillissement des arbres. Aux traces de vie, aux stigmates, écorchures des arbres.
Puis à l’écorce, à la vie de l’arbre, à sa présence obstinée.
C’est à ce moment qu’est née cette série de monotypes. Tout de suite et de façon spontanée deux exigences se sont imposées : le besoin de les regrouper dans un livre et le format, 13×32 vertical car il était le mieux à même de rendre compte de façon idéale du mouvement, de l’élévation, des transformations de l’arbre et des écorces.
J’ai donc réalisé 24 monotypes de ce format sur papier japon.
Une fois l’ensemble achevé, j’ai ressenti le besoin de mots. Pas de didascalies, de commentaires ou de titres. Plutôt un aller-retour entre mots et œuvres. Des sortes de respiration. Des textes en mesure de susciter un espace nouveau, fait de légèreté, de densité et d’une grande liberté.
C’est ainsi que ces territoires sont apparus à notre vue. On pourrait dire également : c’est ainsi que nous sommes apparus à ces territoires.
Note d’intention sur Territoires insoumis.
J’ai un ami qui parle aux arbres ; particulièrement à un amandier près duquel il passe pour se rendre à son travail et avec lequel il entretient, dit-il, « une belle relation »
Est-il étonnant que l’inverse se produise ? Les arbres et végétaux de Patricia Bonal nous parlent. Et ce qu’ils nous disent est immense. Ils nous racontent un monde de force, de résistance, de bienveillance, qui nous interroge sur nous même : ce que nous sommes, ce que nous étions, ce que nous aurions pu ou dû être. Ce discours est tellement puissant, tellement direct, que l’idée m’est venue tout naturellement de le déplacer à la première personne. Le « je » est donc végétal, le « vous » est humain. Entendons nous bien : il ne s’agit pas ici de donner la parole aux arbres,ce qui aurait été d’une prétention ridicule (nul besoin qu’on leur donne quelque chose qu’ils possédaient déjà bien avant l’apparition de l’Homme) , mais de retranscrire avec humilité, de traduire les émotions, les images multiples, les interrogations, les certitudes également émanant de ces monotypes. Retranscrire, en s’efforçant d’éviter le piège souligné par ce dicton italien bien connu et cependant si profond : Traduttore, traditore.
Ceux qui partagent nos vies, ou les ont partagées à un moment donné, on espère bien ne pas les trahir. Et c’est bien le cas de ces œuvres.
Marc Scussel